LA VISITEUSE

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Un jour - ou peut-être était-ce une nuit? – je reçus une mystérieuse visite.

C’était une belle jeune fille, blonde aux yeux bleus, mystérieuse, intrigante, inaccessible.

Elle se tenait à quelques mètres et, bien que je tendisse la main vers elle, je ne pouvais pas m’approcher d’elle.

Elle me sourit et me parla:

«Je suis la meilleure part de Toi-même! 

Tu dois me trouver et me reconnaître.

 Seulement ainsi Tu deviendras Toi-même.»

Je commençais à lui répondre:

- «Mais n’es-Tu pas déjà là en face de moi?»

Pour toute réponse, elle me sourit de plus belle et disparut.

Tout le restant du jour – ou de la nuit – je repensais à la mystérieuse visiteuse. Je ne pouvais détacher ma pensée d’elle. Qui avait-elle dit qu’elle était?

«La meilleure part de moi-même…»

Mais qu’y avait-il au fond de moi que je ne connaisse pas déjà? Je me regardai dans la glace et scrutai mon regard pour descendre au tréfonds de mon âme: qu’allais-je trouver ?

En fait, n’avais-je déjà pas tout ce qu’un homme peut désirer? J’avais une charmante épouse – que, sûrement, plus d’un m’enviait -, trois gentils et beaux enfants, un bon métier – professeur – qui m’occupait grandement, une coquette petite maison sur la colline, une assez belle voiture et même un petit bateau; un bon chien venait me lécher les mains lorsque je rentrais de mon travail, tous les ans nous partions en vacances découvrir un pays inconnu, pourtant…, pourtant je n’étais pas foncièrement heureux; que me manquait-il?

Pourquoi cette – quelque part – dérangeante visiteuse – qui, sur moi-même, avait l’air d’en savoir plus que moi-même – venait-elle me le rappeler avec insistance?

La nuit suivante, elle revint. D’abord, je voulus lui dire de partir, car si Diana, mon épouse, la voyait, elle pouvait être jalouse d’elle.

Mais mes tentatives d’expulsion ne semblaient avoir aucune prise sur elle et la laisser complètement indifférente. Tout sourire, elle me dit:

- «Tu ne peux me chasser, car je fais partie de Toi, autant vouloir essayer de chasser Ton propre cœur. Alors m’as-Tu trouvée? M’as-Tu reconnue?»

Devant mon air dépité, elle poursuivit:

- «Je vais Te montrer quelque chose. Viens avec moi, je T’emmène au cinéma.»

Elle déroula comme un écran devant elle:

- «Cela s’appelle le Miroir du Temps», m’expliqua-t-elle.

Le film commença. C’était un film muet, sans paroles, sans bruits et sans musique d’accompagnement, mais en couleurs.

Tout d’abord, je vis, de dos, un personnage brun comme moi, qui pouvait avoir ma taille. Il était allongé dans un lit et, comme le point de vue se relevait, je vis qu’une jeune femme blonde dormait près de lui, comme assise sur ses genoux à lui. Son bras à lui recouvrait le buste de la jeune femme et sa main gauche semblait serrer sa poitrine. La jeune femme étant aussi de dos, je ne voyais pas son visage, mais elle me semblait déjà charmante. Soudain l’homme se retourna et se redressa, tandis que la jeune femme semblait toujours dormir. Il s’assit, en face de moi, sur le bord du lit, ébouriffé mais heureux de commencer une nouvelle journée, et resta là un moment, introverti en lui-même, comme en prière. Il me ressemblait étonnamment, à la différence qu’alors je ne commençais pas mes journées par une prière de Gratitude envers Dieu.

Il se leva et se dirigea vers la salle d’eau. Je le vis entrer et sortir de la douche, puis se positionner devant le miroir au-dessus du lavabo, de sorte que, de dos, je voyais, de face, son reflet, mais non pas lui-même.

Il entreprit de se coiffer. Je remarquai qu’il se faisait la raie à gauche, donc comme moi, mais, soudain, je pris conscience qu’il s’agissait seulement de son reflet, donc le vrai personnage se faisait, en fait, la raie, symétriquement à moi, à droite.

Puis, lorsqu’il sortit de la salle de bains, la jeune femme blonde arriva, radieuse, à sa rencontre. Il était clair que ses yeux brûlaient d’Amour pour lui. Elle s’approcha de lui, guettant l’approbation dans son regard, en un candide mélange d’élan et de retenue. Dès qu’il l’eut aperçue, il ouvrit ses bras et elle s’y précipita avec Bonheur et Délice.

Je fus frappé par sa blondeur et pensai alors – j’ignore pourquoi – que ma propre épouse était brune.

L’homme brun s’habilla rapidement et descendit dans la cuisine s’adonner aux préparatifs du petit-déjeuner. Ses trois enfants arrivèrent peu après, deux filles et un garçon, le garçon au milieu. Pour ma part, j’avais - et ai toujours – une fille et deux garçons, la fille au milieu.

Ces enfants-là – c’était flagrant – vénéraient leur père; pour le garçon, il était l’inébranlable exemple à suivre, un chêne dans sa vie. Quant aux deux filles, elles l’entouraient de leur tendresse câline mais respectueuse. Je me sentis un tantinet jaloux, car mes enfants se montraient passablement plus indifférents avec moi.

Après la prière en commun, toute la famille prit son petit-déjeuner. L’homme brun partit à son travail. Il était professeur comme moi, mais son école s’appelait «Ecole de la Vie». L’on y dispensait d’une façon vivante, le Savoir de la Création.

Là il enseignait l’Art et la Science de Vivre aux jeunes adolescents – il ne s’occupait que de garçons -, et ceux-ci se montraient pleins de déférence pour lui et assidus à son enseignement.

À la récréation, il rejoignit ses collègues en salle des professeurs. Je n’entendais pas ce qu’ils disaient, mais, au bout d’un moment, je compris qu’ils lui demandaient d’accepter la place de Directeur de l’Ecole de la Vie. Il ne sembla ni acquiescer ni refuser, mais les remercia de leur confiance.

Je vis ainsi toute la journée de cet homme, qui me ressemblait tant, mais aimant et aimé de tous ceux qu’il rencontrait sur son chemin, et ce n’est que lorsque le générique apparut que je lus le titre du film:

«Histoire d’un Serviteur de Dieu».

Je fus très étonné, car nulle part je n’avais vu que cet homme était un prêtre ou un pasteur d’une quelconque église, mais je compris soudain que par toute sa vie cet homme était un réel Serviteur de Dieu et que cette Notion n’avait rien à voir avec l’appartenance à quelque église que ce soit.

Lorsque le film fut terminé, mon apparition lumineuse, la jeune fille blonde, mystérieuse et angélique, était toujours là et me regardait en souriant énigmatiquement. Elle semblait attendre que je dise quelque chose.

Je ne savais que dire et, au bout d’un moment, assez sottement, tel un consommateur de cinéma, je dis:

- «C’était bien!»

Manifestement, elle attendait autre chose.

Comme je ne trouvais rien d’autre à dire, elle dit enfin:

- «Ne voudrais-Tu pas être cet homme-là?»

Je fus déconcerté, car je ne m’attendais pas à cette question, et alors je m’entendis répondre:

- «Si, bien sûr!»

Au moment où j’eus répondu cela, je pris conscience que ma réponse était l’aveu de la fausseté globale de ma vie et du caractère illusoire de mon bonheur, et me mordis les lèvres jusqu’au sang.

Mais, apparemment satisfaite de la réponse, la jeune fille ajouta:

- «Cet homme-là, ce reflet dans ce Miroir, c’est… précisément Toi! C’est l’image de l’homme que Tu aurais pu et dû devenir. 

C’est plus que Ton double et plus que Ton jumeau, c’est Toi-même!

Sors-le du Miroir et Tu verras que c’est Toi!»

Je compris soudain que l’Image que j’avais vue, c’était ce que j’aurais dû être, conformément au Plan, si ma vie avait bien évolué dans le bon sens, ce que j’aurais déjà dû être alors.

J’avais épousé une gentille femme mais qui n’était pas fondamentalement faite pour moi, avais eu avec elle des enfants quelconques et remplis de désirs impossibles à assouvir, et travaillais dans un établissement qui m’était passablement indifférent.

J’avais des possibilités grandioses et je n’avais choisi et récolté que du médiocre.

Le rouge de la honte me courut sur le front. Des larmes amères montèrent à mes yeux.

Non affectée par mon état de bouleversement émotionnel, la jeune fille me regardait amicalement, sans me juger, toujours souriante.

- «Et Toi, qui es-Tu?», demandai-je, implorant, entre deux sanglots.

- «Je suis celle qui ne Te laisse aucun repos, parce qu’elle provient de Ton propre esprit. Je suis là pour toujours Te rappeler qui Tu es et d’où Tu viens, même et surtout lorsque Tu veux l’oublier.»

«J’habite en chaque esprit humain qui ne s’est pas encore complètement laissé ensevelir sous les scories de l’intellect dominateur et du sentiment anesthésiant. Je fais même partie intégrante de lui.»

- «Mais alors… quel est Ton nom?», hoquetai-je alors.

- «L’on m’appelle:

   Nostalgie de la Lumière!!!»